IDENTITÉ DE MARQUE ET RAISON D’ÊTRE, DES SŒURS ENNEMIES ?

Les mots de la philosophie pour définir la raison d'être de votre marque : l'approche de l'agence de communication parisienne L'Hirondelle

Nouvelle sémantique à la mode depuis que la loi PACTE l’a consacrée : beaucoup d’entreprises s’empressent aujourd’hui de clarifier, quand ça n’est pas de s’inventer, leur « raison d’être » et par voie de corollaire leur identité de marque. On ne s’étonnera pas que l’idée même de s’inventer une raison d’être dérange. Pourquoi ? Parce que la raison d’être est un concept éthique, qui engage avant tout l’identité et la responsabilité d’une entreprise. Une raison d’être qui ne serait pas formulée à partir de l’histoire, des intentions et de l’activité réelles de l’organisation, une raison d’être simplement décrétée ou fantasmée, serait un non-sens. Pire, elle serait réduite à un pur effet de marque.

1. Faire et dire : l’inépuisable tension

Cette gêne que nous mentionnons nous intéresse précisément pour ce qu’elle a à nous dire de la relation particulière qu’entretiennent la marque et la raison d’être. L’une des premières questions qu’il faut considérer est celle de savoir si l’authenticité, attendue de la raison d’être, est nécessairement exclue du champ de la marque. Autrement dit : une marque, qui porte, par définition, tout l’apparaître de l’entreprise, peut-elle participer de son être ?

Nous voilà au cœur d’une tension philosophique millénaire. N’y a-t-il que le faire qui soit vrai et qui corresponde à l’identité, d’une personne ou d’une marque ? Tout discours et toute représentation sont-ils nécessairement voués à trahir la réalité ? Le philosophe Paul Ricoeur nous éclaire très à propos sur ce dilemme. L’identité n’est pas débitrice de nos seuls actes – je ne suis pas seulement ce que je fais – mais du récit que nous en faisons. Ricoeur parle d’« identité narrative » : nous devons nous raconter pour nous donner une continuité temporelle et, ce faisant, permettre à un moi unifié, reconnaissable et assignable d’exister effectivement.

2. L’empreinte et le signe

C’est dire que la narration est essentielle à la raison d’être. Et non pas une narration purement descriptive ou constative, mais une narration qui fait droit à la fiction, au sens de ce qui met en scène les faits, de ce qui leur donne de l’épaisseur et du souffle. Car l’identité de marque ne renvoie pas simplement à la question « qui suis-je ? », mais toujours aussi à la question « qui veux-je être ? ».  Ricoeur, encore, nous le rappelle : le soi n’est pas seulement du même, de l’identique, mais de l’être porté vers l’avenir. Le soi, c’est aussi l’être de la promesse, l’être que l’on n’est pas encore mais que l’on aspire à devenir, l’être contenu comme possible dans le présent. Or, n’est-ce pas la marque qui prend en charge cette mise en récit mi historique, mi fictive, ce conte qui maintient vivante la raison d’être de l’entreprise ?

Qu’une entreprise le veuille ou non, son activité marque de mille façons la société dans laquelle elle évolue. La question, et non des moindres, est évidemment celle de savoir si cette marque coïncide suffisamment avec l’autre, celle du communicant et du marketing, celle du faire sublimé par le récit, l’imaginaire et la mise en scène. L’une est empreinte, trace laissée, même contre son gré; l’autre est signe, trace montrée pour faire sens et s’adresser. Sans alignement suffisant entre l’une et l’autre, la marque-signe n’est plus qu’une cosmétique, un masque dont on se met alors inévitablement à soupçonner qu’il cache la véritable identité de l’entreprise.

Il n’y a aucune raison a priori pour que marque et raison d’être ne puissent pas être profondément conciliées. Il n’y a sans doute même qu’une seule condition sine qua none pour qu’elles le soient : que la marque ne se borne pas au paraître, et donc à un mouvement de projection artificielle de l’entreprise, mais qu’elle prenne effectivement soin de l’apparaître, et qu’elle soit donc un mouvement de dévoilement sublimé de l’identité. Une marque authentique est un exhausteur d’identité. Elle est le visage (et non le masque) et la voix d’une raison d’être qui serait, sans elles, imprésentable.

3. Ethique et esthétique : la réconciliation dans l’art de vivre

Ce point de contact essentiel que je viens de décrire me conduit à souligner une autre chose fondamentale : la forme, qui en appelle à tous les sens, n’a pas moins de valeur que le fond, qui en appelle aux idées. D’abord parce que tout ce qui relève des sens n’est pas insensé et tout ce qui relève de la pensée n’est pas dépourvu d’affectivité. Ensuite parce que l’esthétique – le domaine des formes – communique avec l’éthique – le domaine des valeurs.

Les Grecs de l’antiquité avaient une expression célèbre pour résumer cela : kalos kagathos, « beau et bon », ou le fait d’exceller autant par la plastique que par l’esprit réunis en une seule et même aspiration. Si l’éthique est l’autre nom de la vie bonne, celle-ci est indissociablement vie belleCette réunion de l’éthique et de l’esthétique tient toute entière dans le concept d’« art de vivre ».Il ne s’agit pas d’entendre l’art de vivre au sens limité des bonnes manières, mais au sens d’une esthétique du quotidien, c’est-à-dire d’une capacité à sentir, reconnaître et promouvoir le beau dans les activités de chaque jour. Ce qui n’est nullement le privilège des maisons de luxe ou des designers, bien qu’ils en soient les ressortissants tout désignés. Le beau trouve son chemin à travers une attention aux détails, le choix d’un objet ou d’un environnement (de travail par exemple), l’exigence investie dans ce qui est produit, le soin apporté aux relations. C’est, en toute chose, un supplément d’âme et de qualité.

4. La marque, ce qui survit aux personnes

Pourquoi est-ce important de se soucier de cette esthétique du quotidien ? Parce qu’elle prend part à l’être-au-monde de l’entreprise et donc à son éthique. L’esthétique et l’éthique participent l’une de l’autre. Un juste comportement a quelque chose de beau et un beau geste a quelque chose de juste. En tant qu’il réjouit nos sens, nous émeut positivement, exalte notre sentiment d’existence et nous donne l’élan d’acquiescer pleinement au fait d’être en vie, le beau est profondément éthique. Il est ce qui nous maintient en éveil, ce qui nous aide à ne pas sombrer dans le sommeil dogmatique.

Et la marque dans tout cela ? Elle est ce qui capte et transmet cet art de vivre de l’entreprise. Ce qui témoigne de ses valeurs et de ses goûts, ce par quoi elle hérite de son passé tout en se réinventant. Ce qui survit aux personnes tout en rendant indéfiniment possible la rencontre de l’entreprise et de ses clients. Et, de manière fortuite, ce vers de Victor Hugo lui rend bien justice : « tout est une voix et tout est un parfum ; tout dit dans l’infini quelque chose à quelqu’un »1.

Article rédigé par Marion Genaivre, philosophe de l’agence Thaé, pour le LAB. Sociologie de marque © de L’HIRONDELLE
1Victor Hugo, Les Contemplations, Ed. Nelson, 1911 (p. 438-463), poème XXVI, « Ce que dit la bouche d’ombre »
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