La nature dans la ville : entre ensauvagement et appropriation ?

Regard de L'Hirondelle sur la nature en ville

L’HIRONDELLE interroge Séverine Charon, sémiologue spécialisée dans l’analyse des territoires (géographie et marque).  Elle nous livre son analyse et point de vue sur la place de la nature en ville dans notre société aujourd’hui.

1/ Aujourd’hui, quelle est la place de la nature dans la ville ?

Pendant longtemps, les espaces naturels y ont été bornés, circonscrits, transformant en îlots les squares, parcs, jardins, zoos… Aujourd’hui, une nouvelle nature plus débridée, spontanée, parfois éparse, y fait son apparition, entre les pavés, autour des arbres, sur les toits. On se met à ensemencer la ville tout entière, l’injonction écologique flirtant avec une forme de désobéissance. Graminées, chardons, fleurs des prés et de bitume investissent ainsi l’espace, faisant fi du cadre et des limites. A l’esprit du jardin ordonné à la Française se substitue alors celui plus décomplexé, voire anarchique du jardin à l’Anglaise. Les concepts d’ensauvagement urbain ou de « jardin en mouvement » explicitent cette tendance propre à gommer les frontières, à faire cohabiter les contraires. Cette esthétique paradoxale pourrait bien avoir à faire avec l’hybridation de nos nouveaux modes de vie où l’on entremêle joyeusement les espaces professionnel et intime, où les sphères publique et privée s’interpénètrent résolument.

2/ Quel est votre point de vue sur la végétalisation déployée dans nos environnements urbains ?

Ces nouveaux espaces naturels atypiques, que sont par exemple les murs végétalisés, sont particulièrement intéressants à analyser car ils imposent une relation différente à l’environnement. Contrairement à des espaces verts traditionnels conçus comme tels, ils apparaissent initialement comme des non-lieux sur lesquels glisse le regard, des surfaces verticales, inertes souvent vides. Ce que le substantif « végétalisation » suggère donc, c’est cette formidable animation par le vivant d’un univers qui ne l’était guère. Il s’y invente aussi une autre interaction avec la nature. On ne s’y  promène plus si ce n’est avec les yeux. Plus d’immersion ni de progression physique donc : l’observateur reste à bonne distance, dans une forme d’étonnement, parfois de ravissement statique. Il y a comme une mutation du regard puisqu’il ne crée plus le paysage à partir d’une nature englobante ; le morceau de nature est déjà inséré dans un cadre bidimensionnel, celui que l’architecture impose.

3/ Selon vous, que signifie l’échec des dispositifs collectifs de jardinage urbain ?

Laisser les riverains fleurir les pieds des arbres n’a pas fonctionné. Mis à part les jardins ou potagers partagés dont l’organisation est strictement pensée, ces espaces sont à tous et à personne. Ils sont par conséquent difficiles à investir. Ce que révèle cet échec, c’est la nécessité de faire comprendre que l’espace commun relève d’une responsabilité partagée. L’engouement actuel des urbains pour le végétal révèle bien les aspirations et manques de l’homme moderne. Que ce soit sous la forme d’une jardinière, d’un bouquet, à fortiori d’un terrarium – avatar du jardin japonais miniaturisation planétaire -, il s’agit d’abord de faire pénétrer chez soi un fragment de nature que l’on s’approprie. S’y cristallise également souvent une forme de résistance contre un matérialisme féroce, une conception utilitariste du réel. Même infime, l’espace vert que l’on recrée chez soi incite à repenser son rapport au réel. On y pratique l’éloge de la patience et de la lenteur, l’apprentissage de l’humilité face à des cycles naturels sur lesquels l’humain a peu de prise. Nos villes contemporaines n’ont d’autre choix que de réintroduire la nature, véritable concentré de vie propre à questionner les priorités et impératifs du présent.

Finalement, décrypter l’espace revient à interroger les représentations. Démarche identique pour les marques qui matérialisent leur univers à travers un territoire singulier et codifié, au carrefour de l’intime et du collectif.

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