Vague
Hirondelle

LE JEU DU VERT

« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,

Je dirai quelque jour vos naissances latentes :

U, cycles, vibrements divins des mers virides…» Arthur Rimbaud

Souvenirs, souvenirs… La reine Elisabeth d’Angleterre aurait-elle choisi sa tenue vestimentaire verte lors de son discours pendant la covid en 2019 pour porter l’espoir de guérison ? Ou encore du costume vert de notre célèbre Babar, ce vert tendre retrouvé immuablement dans chacun de ses albums ! Ce vert, qui distinguait le roi des éléphants de tous les autres personnages n’était-il pas annonciateur du bonheur à Célesteville… et de notre enfance rêveuse et joyeuse ?

Aujourd’hui, tout le monde s’est mis au vert ! Aucun domaine n’est épargné : la mode, l’alimentation, la déco, la maison, le sport, les loisirs, l’hygiène, la santé, la ville… Vert pomme, vert menthe, vert émeraude, vert amande, vert bouteille, vert citron, vert olive, vert kaki, vert sauge, vert gazon… On ne sait plus quelle nuances de vert inventer pour prolonger et rappeler la nature si essentielle.  Oui, le vert est omniprésent, voire écrasant. Il va même jusqu’à prendre une coloration idéologique, voire politique pour la sauvegarde de la planète !

Pourtant le vert a en vu des vertes et des pas mûres dans son histoire ! Car le vert n’a pas toujours été la couleur de la nature ! Pour nos ancêtres, la nature avait une définition beaucoup plus large et renvoyait au cosmos constitué de l’air, la mer, la terre et l’eau. Et chacun de ces éléments avait sa propre couleur. Le blanc pour l’air, le noir pour la terre, le rouge pour le feu et le vert pour l’eau. Il faudra attendre les romantiques et notamment Jean-Jacques Rousseau pour que la nature devienne végétale et que la couleur verte soit définitivement adoptée. Le vert investit alors la mode, mais aussi l’univers des jardins publics inspirés de nos amis anglais. Urbanistes, architectes, paysagistes déploient leur audace créative pour inventer les espaces verts avec toute sa panoplie de mobilier vert : grille, palissades, bancs, réverbères, fontaines Wallace…

Couleur de la nature, elle représente tout ce qui bouge, change, varie : la jeunesse, l’amour, l’espérance. Et par glissement, elle est associée au hasard, au destin, à la chance. Le fameux trèfle à quatre feuilles !

Mais méfiance, car le vert cache bien son jeu ! Elle n’est pas seulement une couleur positive. Elle est aussi mensonge, roublardise, hypocrisie. Le diable, les démons, les sorcières, les crapauds peu fiables sèment le désordre et sont bien souvent représentés en vert tout comme les tapis de jeu au casino. Les expressionnistes et les peintres fauves en ont bien joué pour traduire avec mystère l’ambiguïté de l’âme humaine !

Bref, le vert oscille, vacille, tout comme sa formule chimique longtemps instable qui ternissait les étoffes !

Alors, le vert ne serait-il pas le reflet de notre époque contradictoire à la fois troublée et en quête d’espérance ?

 

Article rédigé par Anne-Sophie Tournier, fondatrice de l’agence L’Hirondelle
Photo Catherine Sofia 
Les autres lettres