LE VINTAGE : L’HIER A DE L’AVENIR

LE VINTAGE RACONTÉ PAR L'HIRONDELLE

L’HIRONDELLE interroge Patrice Duchemin, sociologue de la consommation, animateur et rédacteur du mensuel de décryptage du commerce et de la vie quotidienne (observatoirecetelem.com/loeil/). Il nous livre son analyse et point de vue sur le vintage dans notre société aujourd’hui.

1. Le vintage signifie-t-il la même chose pour les Boomers et les Millenials ?

Pour répondre à cette question, encore faut-il définir ce qu’est le vintage. Tous les produits de seconde main sont-ils vintage ? Une voiture, un téléphone ou un vélo d’occasion n’accèdent pas à ce statut. On a souvent tendance à superposer Vintage et Seconde main. Selon moi, Vintage est avant tout une notion culturelle. C’est un référent, un point de repère ou, comme il est souvent dit, une référence iconique. Seconde main décrit davantage une réalité économique : des produits moins chers qui entrent dans leur seconde vie.

Dès lors, je ne suis pas certain qu’il y ait une différence de signification du vintage selon les âges. Pour tous, le vintage incarne à la fois la rareté et donc la désirabilité issue du rare. Le plaisir d’un achat vintage n’est pas celui de faire une bonne affaire, mais est indissociable de la valorisation de soi. C’est un plaisir narcissique. Accéder au rare, au disparu, au recherché, sont comme autant de manières de participer à la vitalité un « autre marché » sur lequel n’évoluerait pas toute la population. Un marché secondaire où la valeur ne serait pas seulement portée par la marque et son discours.

Le domaine des jeux vintage, très apprécié des Millenials possède un statut particulier. Leur succès vient nous rappeler que le vintage ne concerne pas que les biens matériels mais aussi l’immatériel. Ici, la forme et l’esthétique comptent, bien sûr, mais moins que la possibilité de réactiver des souvenirs et de vivre des moments partagés avec d’autres membres de sa classe d’âge.

Finalement, le plus important dans le phénomène du vintage réside dans sa capacité à construire une relation particulière, intime et culturelle, entre l’acheteur et le produit. Une relation, située au point de rencontre entre l’individuel et le collectif, qui devrait inspirer toutes les marques pour leur permettre d’affiner des story-tellings trop souvent formatés et trop descriptifs alors qu’ils devraient être émotionnels et poétiques.

 

2. Que revendiquent les Millenials ultra-connectés dans l’adoption des codes vintage ? Esthétisme, écoresponsabilité, fun, authenticité, singularité, un mode de vie ?

Les Millenials sont d’abord des consommateurs conformes et narcissiques. Je ne suis pas du tout convaincu qu’ils revendiquent beaucoup de choses à travers leurs achats de vintage. Pour eux, le vintage est d’abord un jeu. Un jeu avec les styles et les codes qui leur permettra d’affirmer leur appartenance à une communauté sur les réseaux ou leur singularité

Le vintage est pour eux une manière d’affirmer l’image qu’ils souhaitent montrer d’eux-mêmes (malins, créatifs, singulier). Et le fait qu’ils soient connectés ne fait qu’amplifier le phénomène. Donc fun, singularité, modes de vie, oui. Parfois, l’écoresponsabilité peut entrer en ligne de compte avec l’idée que revendre serait une manière de donner une fonction de circulation à la consommation et la sortir ainsi du registre de l’accumulation dans lequel elle est enfermée depuis 50 ans. Une nouvelle forme de citoyenneté. Pourquoi pas. Même si, bien souvent, revendre conduit inexorablement à l’achat de nouveaux biens… surtout parmi les Millenials grands consommateurs de signes !

Disons qu’une des vertus collectives de la généralisation des produits de seconde main et vintage est qu’elle fait naître une prise de conscience chez les consommateurs sur les effets des excès de la consommation sur l’environnement, qu’il s’agisse de toujours « acheter plus » ou de n’utiliser qu’une partie de ce que l’on possède. De ce point de vue, on peut dire que, grâce au vintage, les Millenials n’auront pas la même relation à la consommation que leurs aînés. C’est plutôt un point positif et cela offre à toutes les marques de nouvelles opportunités de discours relationnels avec leurs clients.

3. Que raconte ce phénomène sur notre société ultra connectée ? Peur, pertes de valeurs… ?

Je pense que le phénomène vintage raconte comment notre société se réinvente sous le coup de la diffusion des nouvelles technologies. Cette ultra-connexion fait que nos goûts et nos aspirations se modifient. Ils perdent en singularité et gagnent en adhésion à des communautés.

Je ne vois pas du tout le vintage comme une manière de se rassurer face à une « éco-anxiété » ou à une perte de valeurs ressentie comme on peut souvent l’entendre. Pour moi, le vintage est une corde supplémentaire à l’arc de la consommation que nous pratiquons depuis toujours. Le vintage est un jeu avec les signes auquel seul un consommateur évolué, pour ne pas dire sophistiqué, est sensible. Le goût du vintage décrit finalement une nouvelle forme d’élitisme consommatoire. La majorité des consommateurs, elle, demeure dans l’univers de l’occasion, de la seconde main donc, qui vient apporter une réponse concrète aux difficultés économiques qu’ils rencontrent.

Plutôt qu’une compensation et une manière de se rassurer, je dirais que le phénomène vintage vient confirmer une envie des consommateurs de prendre la main sur leur consommation. C’est une manière de réinvestir leurs achats car dans un achat de vintage, il y a simultanément une forte part d’expression de soi et une envie de prendre ses distances vis-à-vis des lois des marques. C’est une manière d’exprimer sa créativité car le vintage permet des compositions, des juxtapositions, des associations inédites, loin des standards proposés par les marques. Le vintage libère la créativité et permet l’affirmation de soi. Ce ne sont pas les moindres de ses vertus et la certitude de sa durée dans le temps.

 

 

 

 

 

 

 

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